INTRODUCTION
Depuis deux ans la Fondation Rothschild a développé, sous l’impulsion du Docteur Pierre Bourdillon, une activité de neurochirurgie éveillée. Ces interventions très particulières sont destinées aux patients présentant des lésions cérébrales situées en zone fonctionnelle (zone du langage ou de la motricité) pour lesquelles une résection chirurgicale serait souhaitable mais qui présentent également un risque de déficit neurologique post-opératoire majeur. Dans ces cas, l’intervention peut être proposée en condition éveillée, c’es-tà- dire que la résection de la tumeur se fera avec un patient parfaitement réveillé et chez qui on testera en temps réel la possibilité de l’exérèse. Le chirurgien utilise un petit stimulateur qui permet de bloquer pour quelques secondes la transmission neuronale dans la zone testée, et on demande au patient d’effectuer une consigne verbale et/ou motrice dans le même temps. Si la consigne est bien effectuée, la zone est non fonctionnelle et peut donc être retirée. Si le patient ne parvient pas à réaliser la consigne, la zone est par conséquent fonctionnelle et doit être préservée pour maintenir la fonction en post-opératoire. C’est donc une cartographie fonctionnelle individuelle qui est réalisée pour chaque patient, permettant ainsi de maximiser la résection tumorale tout en minimisant les risques de déficit post-opératoires.
Pour préparer une telle chirurgie le patient est évalué par le neurochirurgien qui pose l’indication, par l’anesthésiste qui s’assure de l’absence de contre-indications, par la neuropsychologue qui va entraîner le patient aux tests qui seront réalisés en peropératoire, et enfin par la psychologue qui s’assure de la bonne compréhension et de la préparation mentale du patient. Lors du déroulé de l’intervention, le premier temps chirurgical (installation sur le côté ou sur le dos en fonction de la localisation de la lésion et craniotomie) est réalisé sous anesthésie générale. Puis le patient est réveillé alors que sa tête est installée sur la têtière à pointe (dispositif de fixation composé de pointeaux métalliques qui enserrent la tête comme un étau et la maintiennent parfaitement fixe pour que le chirurgien puisse travailler en sécurité) et que son crâne est ouvert. Il est donc fondamental qu’il ne bouge pas et ne tousse pas à ce moment. Puis dès qu’il est suffisamment réveillé, il commence les tests avec la neuropsychologue, et le chirurgien effectue en parallèle la cartographie et la résection. La coopération patient/chirurgien/ neuropsychologue doit être parfaite pour coordonner la résection (la durée de cette phase est de 60 à 90 minutes). Enfin, une fois la résection terminée (soit car tout a été enlevé, soit car le reste de la lésion est en zone fonctionnelle et doit donc être laissé en place), de faibles doses d’antalgiques sont administrées au patient qui s’endort spontanément, le plus souvent pendant la durée de la fermeture. Pour être éligible à une telle chirurgie, le patient doit parfaitement comprendre les enjeux du geste et ce qu’implique sa participation. Sa coopération doit être totale car il devra rester calme et immobile mais aussi actif pour participer aux tests pendant 60 à 90 minutes, alors même que sa position ne sera pas des plus confortables. Chez des patients correctement sélectionnés et préparés, la chirurgie se déroule très bien et permet une réelle amélioration pronostic ou de qualité de vie chez les patients. Entre février 2019 et juillet 2020, 18 patients ont ainsi pu être opérés avec succès à la Fondation Rothschild. C’est dans ce contexte que le dossier de Melvyn est proposé pour cette intervention.
QUI EST MELVYN ?
Melvyn est un jeune homme de 14 ans. Suivi pour une sclérose tubéreuse de Bourneville (STB), il présente plusieurs tubers intra-cérébraux occasionnant une épilepsie sévère, résistante aux traitements depuis l’âge de 2 mois. A cette épilepsie s’associe une déficience intellectuelle moyenne ainsi que des troubles du comportement à type d’agressivité notamment en cas de stress. Melvyn est scolarisé en IME. Il présente aussi des difficultés de con - centration et de focalisation sur une tâche, surtout dans un contexte « scolaire » avec une peur de l’échec importante. Malgré toutes ses difficultés en lien avec son épilepsie, sa maladie et ses traitements, Melvyn est un jeune homme qui a de nombreux centres d’intérêt, passionné d’informatique et de jeux vidéo, de films avec des animaux. Il a besoin de temps pour connaître ses interlocuteurs mais a une très grande capacité à faire con fiance et à se laisser guider. Devant l’aggravation de son épilepsie, un nouveau bilan en 2019 a mis en évidence un tuber au niveau de l’opercule frontal droit qui a été reconnu comme étant à l’origine de ses crises. Or cette zone est également la zone du langage. Une chirurgie conventionnelle risquant de laisser Melvyn aphasique de façon définitive n’est donc pas envisageable. Mais la fréquence des crises avec des chutes régulières ont aussi un gros retentissement sur la qualité de vie de Melvyn et ses apprentissages. Melvyn a donc une indication théorique forte à bénéficier d’une chirurgie éveillée, mais au vu de son terrain, cela est-il envisageable de façon sécuritaire pour lui ? Comment envisager la préparation chez un enfant présentant des difficultés de concentration et une déficience mentale modérée ?
OBJECTIFS DE LA PRÉPARATION : ÊTRE DYNAMIQUE DANS L’IMMOBILITÉ
La réalisation de la chirurgie nécessite un enfant calme mais actif, capable de rester immobile pendant au moins 40 à 60 minutes tout en réalisant une tâche spécifique (langagière et/ou motrice). Il va donc être nécessaire d’adapter notre préparation et nos exercices afin de trouver les modes de communication qui permettront à Melvyn de réussir : - connaître ses centres d’intérêt pour le focaliser plus facilement sur la tâche à réaliser ; - lui proposer de multiples tâches différentes pour ne pas perdre sa concentration ; - réinventer notre façon de réaliser les tests « standardisés » pour obtenir les mêmes réponses mais de façon plus ludique. Bref, tout est à inventer !
PRÉPARATION DU PROJET
Il est d’emblée apparu évident qu’une telle préparation demanderait du temps. Melvyn et sa famille étaient très motivés et prêts à investir le temps nécessaire pour cela, malgré les allers-retours sur Paris que cela impliquait. Et pour simplifier les choses, le confinement lié au Covid est arrivé. C’est l’équipe d’anesthésie (médecin + infirmière anesthésiste) qui a coordonné cette préparation. Cette équipe est formée en hypnose et à la communication thérapeutique, outils indispensables pour mener à bien ce projet.
COMMENT CRÉER UNE PRÉPARATION PERSONNALISÉE ?
Nous avons choisi de commencer par questionner Melvyn sur ses différentes peurs : peur du chirurgien, peur de l’inconnu, peur des sensations pendant l’intervention, peur d’échouer aux exercices. Mais aussi et surtout sur les choses qui le rendent fort : faire confiance à l’adulte qui le guide (équipe d’anesthésie), fierté de se lancer dans un tel projet et d’en être acteur. Tisser un lien de confiance.
Melvyn était anxieux à l’idée de la chirurgie mais aussi très motivé à l’idée de pouvoir être débarrassé de ses crises et pouvoir un jour faire du karting. Le premier entretien avec lui nous révèle un jeune homme timide au premier abord, mais qui se détend rapidement quand on évoque les sujets qui l’intéressent (les jeux vidéo, ses frères, sa vie à l’IME). Il apparaît vite évident que Melvyn est en confiance quand il connaît les gens. Il va donc être impératif qu’il apprenne à connaître l’ensemble des intervenants. L’équipe d’anesthésie constitue donc les deux personnes ressources avec lesquelles il va créer un lien privilégié. Mais Melvyn rencontrera l’ensemble des intervenants plusieurs fois avant le jour J pour être vraiment en terrain connu. L’ensemble de la préparation se fait sans les accompagnants, avec Melvyn seul. Pour créer ce lien de confiance, l’équipe d’anesthésie passe du temps avec lui (3 séances de 2 à 3 heures), pour partager à propos de sa vie, de son quotidien, de sa famille, de ce qu’il aime, de ses animaux de compagnie. Accepter aussi de le suivre quand il passe d’un sujet à l’autre. Prendre le temps de le recentrer sur nos objectifs : rechercher avec lui tout ce qui pourrait l’aider pendant l’opération, les films, les jeux vidéo, sa musique (du rap), son MP3 avec son enceinte qu’il aime brancher et manipuler seul, sa minitélé et son stock de DVD. On revoit Melvyn trois fois à quelques semaines d’écart pour qu’il puisse tester à la maison et préparer toutes ses affaires d’une séance à l’autre, pour vérifier si finalement c’est utile pour lui ou non.
Au cours de ces entretiens, Melvyn nous fait rapidement part de son inquiétude vis-à-vis du chirurgien qu’il trouve trop impressionnant. On travaille donc avec lui sur comment rendre le chirurgien et l’équipe du bloc moins impressionnants. La solution : mettre des calots de bloc personnalisés pour chaque intervenant. Melvyn a choisi pour chacun le chapeau qui le représentait le mieux : - « Mickey père Noël » pour le chirurgien parce que c’est un peu ridicule comme chapeau, donc comme ça il fait moins peur ; - « les Aristochats roses » pour l’anesthésiste anesthésiste car c’est elle qui s’y connaît le mieux en jeux vidéo ; - « Star Wars » et les « Sept nains » pour les infirmières de bloc ; - « les ratons laveurs » pour la neuropsychologue. On réalise alors un « trombinoscope » de toute l’équipe avec les bons chapeaux pour « réviser » à la maison.
AU BLOC POUR AUGMENTER LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE
« Pas de surprise », savoir exactement où on va. On va travailler à plusieurs reprises avec Melvyn le déroulement de l’intervention, les temps chirurgicaux, d’abord sur papier, puis en simulation au bloc. Il est nécessaire de faire plusieurs séances pour bien assimiler d’une fois sur l’autre et ne pas donner trop d’informations d’un coup.
- La première séance c’est la découverte de l’univers du bloc, la salle, les machines, la table opératoire. - La deuxième séance est une mise en situation plus poussée. Melvyn est installé sur le côté, ce qui sera la position le jour J, sa tête est immobilisée sur la têtière comme elle le sera le jour J, et on s’entraîne à faire les exercices dans cette position. Il y a encore des petits défauts de concentration mais Melvyn nous prouve qu’il peut rester tranquille pendant 45 minutes dans la bonne position, à nous d’être à son écoute pour l’aider à tenir. La survenue de la pandémie de Covid va mettre un coup d’arrêt à cette préparation et on retrouve Melvyn trois mois plus tard. Et il n’a rien oublié. Ce temps d’attente a fait grandir sa motivation, le projet a eu le temps de maturer dans sa tête.
- On refait une troisième séance de simulation au bloc : c’est évident, Melvyn est prêt ! On propose à Melvyn d’autres astuces pour l’aider à se sentir en sécurité et il sait très vite si oui ou non c’est bien pour lui. Pour le bloc, on ajoute :
- une couverture pondérée pour se sentir plus en sécurité ;
- mettre la musique sur les enceintes de la salle, parce que le rap c’est mieux quand le son est fort ;
- choisir son pyjama pour le bloc (pas celui en papier qui gratte).
AJUSTER LES TESTS AUX CAPACITÉS DE MELVYN
- Les tests neuropsychologiques standardisés se rapprochent trop d’exercices scolaires, ce qui bloque beaucoup Melvyn (peur de l’échec, de décevoir) et a tendance à l’inhiber au plan du langage. On réalise néanmoins plusieurs séances d’entraînement sur ces tests mais qui sont peu concluantes et on décide donc, en accord avec le chirurgien, de ne pas les utiliser.
- On va créer des tests alternatifs moins précis mais suffisamment quand même pour pouvoir permettre un testing correct du langage. Un seul objectif : faire parler Melvyn. Il est donc important pour nous d’avoir de nombreux sujets de conversation pour éviter une lassitude et mieux s’adapter aux difficultés de concentration de Melvyn.
- De même, on retravaille les tests moteurs : comment rendre ludique le mouvement de bras ? « Comme pour lancer un sort dans Harry Potter » ou « comme pour lancer une balle ».
CRÉATION DE LA BOÎTE À OUTILS
Pour lire la suite de l’article et commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°63
Depuis deux ans la Fondation Rothschild a développé, sous l’impulsion du Docteur Pierre Bourdillon, une activité de neurochirurgie éveillée. Ces interventions très particulières sont destinées aux patients présentant des lésions cérébrales situées en zone fonctionnelle (zone du langage ou de la motricité) pour lesquelles une résection chirurgicale serait souhaitable mais qui présentent également un risque de déficit neurologique post-opératoire majeur. Dans ces cas, l’intervention peut être proposée en condition éveillée, c’es-tà- dire que la résection de la tumeur se fera avec un patient parfaitement réveillé et chez qui on testera en temps réel la possibilité de l’exérèse. Le chirurgien utilise un petit stimulateur qui permet de bloquer pour quelques secondes la transmission neuronale dans la zone testée, et on demande au patient d’effectuer une consigne verbale et/ou motrice dans le même temps. Si la consigne est bien effectuée, la zone est non fonctionnelle et peut donc être retirée. Si le patient ne parvient pas à réaliser la consigne, la zone est par conséquent fonctionnelle et doit être préservée pour maintenir la fonction en post-opératoire. C’est donc une cartographie fonctionnelle individuelle qui est réalisée pour chaque patient, permettant ainsi de maximiser la résection tumorale tout en minimisant les risques de déficit post-opératoires.
Pour préparer une telle chirurgie le patient est évalué par le neurochirurgien qui pose l’indication, par l’anesthésiste qui s’assure de l’absence de contre-indications, par la neuropsychologue qui va entraîner le patient aux tests qui seront réalisés en peropératoire, et enfin par la psychologue qui s’assure de la bonne compréhension et de la préparation mentale du patient. Lors du déroulé de l’intervention, le premier temps chirurgical (installation sur le côté ou sur le dos en fonction de la localisation de la lésion et craniotomie) est réalisé sous anesthésie générale. Puis le patient est réveillé alors que sa tête est installée sur la têtière à pointe (dispositif de fixation composé de pointeaux métalliques qui enserrent la tête comme un étau et la maintiennent parfaitement fixe pour que le chirurgien puisse travailler en sécurité) et que son crâne est ouvert. Il est donc fondamental qu’il ne bouge pas et ne tousse pas à ce moment. Puis dès qu’il est suffisamment réveillé, il commence les tests avec la neuropsychologue, et le chirurgien effectue en parallèle la cartographie et la résection. La coopération patient/chirurgien/ neuropsychologue doit être parfaite pour coordonner la résection (la durée de cette phase est de 60 à 90 minutes). Enfin, une fois la résection terminée (soit car tout a été enlevé, soit car le reste de la lésion est en zone fonctionnelle et doit donc être laissé en place), de faibles doses d’antalgiques sont administrées au patient qui s’endort spontanément, le plus souvent pendant la durée de la fermeture. Pour être éligible à une telle chirurgie, le patient doit parfaitement comprendre les enjeux du geste et ce qu’implique sa participation. Sa coopération doit être totale car il devra rester calme et immobile mais aussi actif pour participer aux tests pendant 60 à 90 minutes, alors même que sa position ne sera pas des plus confortables. Chez des patients correctement sélectionnés et préparés, la chirurgie se déroule très bien et permet une réelle amélioration pronostic ou de qualité de vie chez les patients. Entre février 2019 et juillet 2020, 18 patients ont ainsi pu être opérés avec succès à la Fondation Rothschild. C’est dans ce contexte que le dossier de Melvyn est proposé pour cette intervention.
QUI EST MELVYN ?
Melvyn est un jeune homme de 14 ans. Suivi pour une sclérose tubéreuse de Bourneville (STB), il présente plusieurs tubers intra-cérébraux occasionnant une épilepsie sévère, résistante aux traitements depuis l’âge de 2 mois. A cette épilepsie s’associe une déficience intellectuelle moyenne ainsi que des troubles du comportement à type d’agressivité notamment en cas de stress. Melvyn est scolarisé en IME. Il présente aussi des difficultés de con - centration et de focalisation sur une tâche, surtout dans un contexte « scolaire » avec une peur de l’échec importante. Malgré toutes ses difficultés en lien avec son épilepsie, sa maladie et ses traitements, Melvyn est un jeune homme qui a de nombreux centres d’intérêt, passionné d’informatique et de jeux vidéo, de films avec des animaux. Il a besoin de temps pour connaître ses interlocuteurs mais a une très grande capacité à faire con fiance et à se laisser guider. Devant l’aggravation de son épilepsie, un nouveau bilan en 2019 a mis en évidence un tuber au niveau de l’opercule frontal droit qui a été reconnu comme étant à l’origine de ses crises. Or cette zone est également la zone du langage. Une chirurgie conventionnelle risquant de laisser Melvyn aphasique de façon définitive n’est donc pas envisageable. Mais la fréquence des crises avec des chutes régulières ont aussi un gros retentissement sur la qualité de vie de Melvyn et ses apprentissages. Melvyn a donc une indication théorique forte à bénéficier d’une chirurgie éveillée, mais au vu de son terrain, cela est-il envisageable de façon sécuritaire pour lui ? Comment envisager la préparation chez un enfant présentant des difficultés de concentration et une déficience mentale modérée ?
OBJECTIFS DE LA PRÉPARATION : ÊTRE DYNAMIQUE DANS L’IMMOBILITÉ
La réalisation de la chirurgie nécessite un enfant calme mais actif, capable de rester immobile pendant au moins 40 à 60 minutes tout en réalisant une tâche spécifique (langagière et/ou motrice). Il va donc être nécessaire d’adapter notre préparation et nos exercices afin de trouver les modes de communication qui permettront à Melvyn de réussir : - connaître ses centres d’intérêt pour le focaliser plus facilement sur la tâche à réaliser ; - lui proposer de multiples tâches différentes pour ne pas perdre sa concentration ; - réinventer notre façon de réaliser les tests « standardisés » pour obtenir les mêmes réponses mais de façon plus ludique. Bref, tout est à inventer !
PRÉPARATION DU PROJET
Il est d’emblée apparu évident qu’une telle préparation demanderait du temps. Melvyn et sa famille étaient très motivés et prêts à investir le temps nécessaire pour cela, malgré les allers-retours sur Paris que cela impliquait. Et pour simplifier les choses, le confinement lié au Covid est arrivé. C’est l’équipe d’anesthésie (médecin + infirmière anesthésiste) qui a coordonné cette préparation. Cette équipe est formée en hypnose et à la communication thérapeutique, outils indispensables pour mener à bien ce projet.
COMMENT CRÉER UNE PRÉPARATION PERSONNALISÉE ?
Nous avons choisi de commencer par questionner Melvyn sur ses différentes peurs : peur du chirurgien, peur de l’inconnu, peur des sensations pendant l’intervention, peur d’échouer aux exercices. Mais aussi et surtout sur les choses qui le rendent fort : faire confiance à l’adulte qui le guide (équipe d’anesthésie), fierté de se lancer dans un tel projet et d’en être acteur. Tisser un lien de confiance.
Melvyn était anxieux à l’idée de la chirurgie mais aussi très motivé à l’idée de pouvoir être débarrassé de ses crises et pouvoir un jour faire du karting. Le premier entretien avec lui nous révèle un jeune homme timide au premier abord, mais qui se détend rapidement quand on évoque les sujets qui l’intéressent (les jeux vidéo, ses frères, sa vie à l’IME). Il apparaît vite évident que Melvyn est en confiance quand il connaît les gens. Il va donc être impératif qu’il apprenne à connaître l’ensemble des intervenants. L’équipe d’anesthésie constitue donc les deux personnes ressources avec lesquelles il va créer un lien privilégié. Mais Melvyn rencontrera l’ensemble des intervenants plusieurs fois avant le jour J pour être vraiment en terrain connu. L’ensemble de la préparation se fait sans les accompagnants, avec Melvyn seul. Pour créer ce lien de confiance, l’équipe d’anesthésie passe du temps avec lui (3 séances de 2 à 3 heures), pour partager à propos de sa vie, de son quotidien, de sa famille, de ce qu’il aime, de ses animaux de compagnie. Accepter aussi de le suivre quand il passe d’un sujet à l’autre. Prendre le temps de le recentrer sur nos objectifs : rechercher avec lui tout ce qui pourrait l’aider pendant l’opération, les films, les jeux vidéo, sa musique (du rap), son MP3 avec son enceinte qu’il aime brancher et manipuler seul, sa minitélé et son stock de DVD. On revoit Melvyn trois fois à quelques semaines d’écart pour qu’il puisse tester à la maison et préparer toutes ses affaires d’une séance à l’autre, pour vérifier si finalement c’est utile pour lui ou non.
Au cours de ces entretiens, Melvyn nous fait rapidement part de son inquiétude vis-à-vis du chirurgien qu’il trouve trop impressionnant. On travaille donc avec lui sur comment rendre le chirurgien et l’équipe du bloc moins impressionnants. La solution : mettre des calots de bloc personnalisés pour chaque intervenant. Melvyn a choisi pour chacun le chapeau qui le représentait le mieux : - « Mickey père Noël » pour le chirurgien parce que c’est un peu ridicule comme chapeau, donc comme ça il fait moins peur ; - « les Aristochats roses » pour l’anesthésiste anesthésiste car c’est elle qui s’y connaît le mieux en jeux vidéo ; - « Star Wars » et les « Sept nains » pour les infirmières de bloc ; - « les ratons laveurs » pour la neuropsychologue. On réalise alors un « trombinoscope » de toute l’équipe avec les bons chapeaux pour « réviser » à la maison.
AU BLOC POUR AUGMENTER LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE
« Pas de surprise », savoir exactement où on va. On va travailler à plusieurs reprises avec Melvyn le déroulement de l’intervention, les temps chirurgicaux, d’abord sur papier, puis en simulation au bloc. Il est nécessaire de faire plusieurs séances pour bien assimiler d’une fois sur l’autre et ne pas donner trop d’informations d’un coup.
- La première séance c’est la découverte de l’univers du bloc, la salle, les machines, la table opératoire. - La deuxième séance est une mise en situation plus poussée. Melvyn est installé sur le côté, ce qui sera la position le jour J, sa tête est immobilisée sur la têtière comme elle le sera le jour J, et on s’entraîne à faire les exercices dans cette position. Il y a encore des petits défauts de concentration mais Melvyn nous prouve qu’il peut rester tranquille pendant 45 minutes dans la bonne position, à nous d’être à son écoute pour l’aider à tenir. La survenue de la pandémie de Covid va mettre un coup d’arrêt à cette préparation et on retrouve Melvyn trois mois plus tard. Et il n’a rien oublié. Ce temps d’attente a fait grandir sa motivation, le projet a eu le temps de maturer dans sa tête.
- On refait une troisième séance de simulation au bloc : c’est évident, Melvyn est prêt ! On propose à Melvyn d’autres astuces pour l’aider à se sentir en sécurité et il sait très vite si oui ou non c’est bien pour lui. Pour le bloc, on ajoute :
- une couverture pondérée pour se sentir plus en sécurité ;
- mettre la musique sur les enceintes de la salle, parce que le rap c’est mieux quand le son est fort ;
- choisir son pyjama pour le bloc (pas celui en papier qui gratte).
AJUSTER LES TESTS AUX CAPACITÉS DE MELVYN
- Les tests neuropsychologiques standardisés se rapprochent trop d’exercices scolaires, ce qui bloque beaucoup Melvyn (peur de l’échec, de décevoir) et a tendance à l’inhiber au plan du langage. On réalise néanmoins plusieurs séances d’entraînement sur ces tests mais qui sont peu concluantes et on décide donc, en accord avec le chirurgien, de ne pas les utiliser.
- On va créer des tests alternatifs moins précis mais suffisamment quand même pour pouvoir permettre un testing correct du langage. Un seul objectif : faire parler Melvyn. Il est donc important pour nous d’avoir de nombreux sujets de conversation pour éviter une lassitude et mieux s’adapter aux difficultés de concentration de Melvyn.
- De même, on retravaille les tests moteurs : comment rendre ludique le mouvement de bras ? « Comme pour lancer un sort dans Harry Potter » ou « comme pour lancer une balle ».
CRÉATION DE LA BOÎTE À OUTILS
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Dr Severine GRAS
Médecin anesthésiste spécialisée en anesthésie pédiatrique. DU Hypnose et Anesthésie. Formée en hypnose et thérapies brèves à l’Institut Emergences. Fondation ophtalmologique Rothschild, Paris.
Commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°63
N°63 : Novembre, Décembre 2021, Janvier 2022
Illustrations © Eishin Yoza
- Edito : Humaniser le lien - Julien Betbèze, rédacteur en chef
- Wilfrid Martineau nous apprend à surfer sur les métaphores, grâce à des exemples concrets de questionnement s’inscrivant dans l’imaginaire partagé. En s’attachant aux métaphores des patients, le thérapeute renforce le lien et active le changement.
- Marie Caiazzo nous indique comment les images d’une personne courageuse et forte peuvent remettre le corps en mouvement ; elle illustre cela avec le cas d’Annabelle, kiné victime d’inceste qui ne parvenait plus à toucher ses patients.
- Bertrand Jacques met en évidence les effets délétères des normes de performance dans la vie affective et sexuelle. A travers plusieurs exemples, il nous montre comment se déprendre du pouvoir des injonctions normatives intériorisées. Reconnecter les sujets à des relations sécures va ouvrir la voie à une expérience émotionnelle corrective, dans laquelle le sujet va se réapproprier sa subjectivité qui passe par l’acceptation de la peur et l’accueil des tremblements.
- Gérard Ostermann présente dans son édito deux articles sur l’utilisation de l’hypnose, en neurochirurgie éveillée (Séverine Gras) et sur la fibromyalgie (Laurent Schaller).
- Le dossier thématique «Humaniser le lien» reprend un échange de Julien Betbèze avec Eric Bardot autour de la dépression.
L’article souligne l’importance de la constitution de la relation pour accéder à la subjectivité. Cela passe par une attention à l’accordage et au partage affectif afin de diminuer l’effet des angoisses de mort liées au monde abandonnique.
- Le texte de Véronique Cohier-Rahban s’intéresse aux fantômes transgénérationnels chez les enfants atteints de troubles oppositionnels avec provocation (TOP) et de troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). L’auteure décrit comment, à travers l’histoire d’une famille, son intervention thérapeutique a permis l’accès à une tristesse partagée, condition de l’installation d’un lien rendant à chacun un espace d’expression.
- Adrian Chaboche : Aussi simple qu’un verre d’eau. Voir le patient comme une œuvre d’art favorise notre empathie et fait émerger le geste thérapeutique qui devient simple, présent.
- L’importance du lien est illustrée comme toujours avec humour par Stefano Colombo et Muhuc.
- Gérard Fitoussi interroge Jean-Jacques Wittezaele qui a introduit l’approche de Palo Alto dans l’Europe francophone. Il décrit son parcours autour de l’importance de la relation et son intérêt pour la culture chinoise qui donne une place prépondérante à la relation dans la construction du sens.
Illustrations © Eishin Yoza
- Edito : Humaniser le lien - Julien Betbèze, rédacteur en chef
- Wilfrid Martineau nous apprend à surfer sur les métaphores, grâce à des exemples concrets de questionnement s’inscrivant dans l’imaginaire partagé. En s’attachant aux métaphores des patients, le thérapeute renforce le lien et active le changement.
- Marie Caiazzo nous indique comment les images d’une personne courageuse et forte peuvent remettre le corps en mouvement ; elle illustre cela avec le cas d’Annabelle, kiné victime d’inceste qui ne parvenait plus à toucher ses patients.
- Bertrand Jacques met en évidence les effets délétères des normes de performance dans la vie affective et sexuelle. A travers plusieurs exemples, il nous montre comment se déprendre du pouvoir des injonctions normatives intériorisées. Reconnecter les sujets à des relations sécures va ouvrir la voie à une expérience émotionnelle corrective, dans laquelle le sujet va se réapproprier sa subjectivité qui passe par l’acceptation de la peur et l’accueil des tremblements.
- Gérard Ostermann présente dans son édito deux articles sur l’utilisation de l’hypnose, en neurochirurgie éveillée (Séverine Gras) et sur la fibromyalgie (Laurent Schaller).
- Le dossier thématique «Humaniser le lien» reprend un échange de Julien Betbèze avec Eric Bardot autour de la dépression.
L’article souligne l’importance de la constitution de la relation pour accéder à la subjectivité. Cela passe par une attention à l’accordage et au partage affectif afin de diminuer l’effet des angoisses de mort liées au monde abandonnique.
- Le texte de Véronique Cohier-Rahban s’intéresse aux fantômes transgénérationnels chez les enfants atteints de troubles oppositionnels avec provocation (TOP) et de troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). L’auteure décrit comment, à travers l’histoire d’une famille, son intervention thérapeutique a permis l’accès à une tristesse partagée, condition de l’installation d’un lien rendant à chacun un espace d’expression.
- Adrian Chaboche : Aussi simple qu’un verre d’eau. Voir le patient comme une œuvre d’art favorise notre empathie et fait émerger le geste thérapeutique qui devient simple, présent.
- L’importance du lien est illustrée comme toujours avec humour par Stefano Colombo et Muhuc.
- Gérard Fitoussi interroge Jean-Jacques Wittezaele qui a introduit l’approche de Palo Alto dans l’Europe francophone. Il décrit son parcours autour de l’importance de la relation et son intérêt pour la culture chinoise qui donne une place prépondérante à la relation dans la construction du sens.