Notre commission a travaillé sur la souffrance au travail et ce qu’on pouvait proposer en hypnose à nos patients. Au-delà des nombreuses situations particulières, il est fondamental de repérer un phénomène qui s’amplifie. Il s’agit d’une souffrance de masse, liée au développement des techniques de management apparues dans les années 1980, techniques dont les effets pervers ont été tôt dénoncés et dont même leurs auteurs ont proposé des alternatives, mais qui imprègnent maintenant la conscience et les pratiques des managers formés uniquement à ces pratiques sans connaître la réalité du travail.
Pour prendre en charge nos patients, il faut comprendre les mécanismes intimes de cette souffrance. Le premier phénomène est l’emprise sur le psychisme et l’imaginaire des employés, à travers l’adhésion à une logique d’organisation et l’intégration d’une culture d’entreprise, système de valeurs et d’objectifs, et spécialement celui d’excellence. La quête inlassable de l’excellence rencontre le désir de l’individu de se dépasser, se réaliser dans sa carrière professionnelle, gagner des récompenses narcissiques et financières dans une société où la réussite financière est devenue le critère de réussite de la vie et où l’individualisme a pris le pas sur les anciennes solidarités et identités de classe. Dans le cadre de cette emprise, les affects vont être vécus sans prise de recul, l’anxiété sera moins celle d’une sanction que celle d’une insuffisance personnelle vécue avec culpabilité et un doute sur ses compétences, sentiment douloureux de l’échec personnel (même si les sanctions directes demeurent toujours importantes dans certains secteurs : centres téléphoniques, par exemple). D’autres éléments de souffrance sont la solitude de l’individu et la perte de sens de son travail. Le management s’emploie à mettre les salariés en concurrence en assignant des objectifs individualisés et irréalisables.
L’« évaluation individuelle des performances » se fait à l’aide d’instruments informatiques, d’indicateurs chiffrés qui évaluent des quantités sans référence à la qualité ni aux difficultés du travail. Surtout, la notion de travail d’équipe disparaît, chaque employé est mis en concurrence avec les autres. La rivalité remplace la solidarité et laisse l’employé seul face à des objectifs irréalisables, des indicateurs dont il ne comprend pas toujours le sens. Ce processus l’amène à douter de sa compétence. Il est même amené à douter de son identité, lorsque les contraintes organisationnelles ne lui permettent plus un travail de qualité, un travail bien fait qui soit reconnu par l’employeur et par ce qu’étaient autrefois les équipes, les collectifs de travail. Travailler doit avoir un sens, aimer le beau travail bien fait est une aspiration universelle.
L’abandon de la référence au travail bien fait – qui nécessite du temps – a conduit à créer la norme de la « qualité totale », mesurée par des indicateurs quantitatifs sans rapport avec la qualité réelle du produit entier. Ainsi Maxime Bellego relève-t-il : « Si la mesure du travail est trop éloignée du travail réel, il y a rupture idéologique et groupale entre celui qui mesure et celui qui fait, mais en plus la mesure vient empêcher le travail de s’effectuer correctement puisque c’est l’activité qui va s’adapter à la mesure et non l’inverse » (3). La perte de sens est maximale quand s’ajoutent les tricheries : falsifications comptables ou statistiques, mensonges sur la qualité, fraudes, aboutissant à une trahison de l’éthique professionnelle, une trahison de soi (2), source de malaise, de dépression. Les managers eux-mêmes peuvent souffrir de cette organisation, par exemple si on leur demande de choisir les employés à licencier pour répondre aux attentes des actionnaires. Sur le site Souffrance et travail (4), la psychologue Marie Pezé propose un test de « propagation du burn out » : clinique de la progression de la souffrance professionnelle jusqu’au suicide ou à des états dépressifs graves.
Ce test est très utile pour prendre la mesure de l’épuisement professionnel : éviter sa sous-estimation chez le patient, et nous faire mesurer la nécessité ou l’urgence d’un arrêt de travail si le risque est grand d’un dommage irréversible. Notre posture de « non-savoir » nécessaire à la pratique de l’hypnose, avec son accueil inconditionnel de ce qu’apporte le patient, se confronte ici à une obligation morale de secours à personne en danger, et donc savoir reconnaître le danger d’une exposition professionnelle dont le patient est incapable de se libérer seul. Aux premiers stades de cette souffrance, le patient est en état de consulter et de travailler avec l’hypnose (le texte résumé en italique est de Marie Pezé).
1. « Au début c’est la surchauffe. Les contraintes, le manque de moyens, de temps sont à la source d’inquiétude quant au travail qui n’est pas terminé et s’accumule alors que l’encadrement signifie : “vous devriez mieux vous organiser”. Vous avez l’impression de ne pas être à la hauteur de ce qu’on attend de vous. Vous vous dites que c’est vous qui n’en faites pas assez, ou pas assez bien. Vous commencez à vous sentir coupable de ne pas y arriver. Vous travaillez chez vous le soir, les week-ends. Mais même avec tous ces efforts, vous n’arrivez plus à vous mettre à jour. »
2. « Après six mois de stress. Votre capacité d’attention et de concentration est saturée, vous n’imprimez plus tout ce que vous devez retenir. Il vous faut plus de temps pour tout faire, ça devient un cercle vicieux. Vous avez la vue qui se trouble. Vous commencez à avoir mal de-ci de-là, puis bientôt vous avez mal partout. Tout commence à vous agacer, le manager qui vous demande de faire des choses en plus, vos collègues qui ne vont pas assez vite et qui bloquent votre travail. Vous avez du mal à trouver le sommeil. »
3. « L’engrenage. C’est l’étape décisive qui fait passer le salarié au fonctionnement compulsif dont il faudra bien que quelqu’un de son entourage l’extraie : vous vous réveillez en pleine nuit et vous êtes assailli par tout ce que vous n’avez pas fait, tout ce que vous avez encore à faire. Vous ruminez et vous n’arrivez plus à vous rendormir. Vous n’arrivez pas à lutter contre le TTU (“Très Très Urgent”), le toujours tout de suite, l’ASAP (“As Soon As Possible”). Vous travaillez de manière compulsive. Vous êtes captif du numérique, vous regardez tout en ligne. Vous démarrez toutes vos journées avec un sentiment de faute, de culpabilité, puisque vous n’êtes pas à jour… Vous êtes pris dans un engrenage : vous êtes fatigué, donc moins performant. Vous faites des erreurs, vous vous trompez de mots. » Au fur et à mesure de la progression vers les six stades suivants, de la désocialisation jusqu’à l’effondrement (à lire sur le site) (4), l’arrêt de travail devient une nécessité de plus en plus urgente.
COMMENT UTILISER L’HYPNOSE ? VOICI QUELQUES EXEMPLES...
1. Le sujet se sent coupable de ne pas y arriver. Proposer un recadrage pour diminuer la culpabilité, par exemple : « Est-ce vraiment vous qui êtes devenu insuffisant ? Est-ce que ce ne serait pas plutôt la restriction de personnel, le changement de méthodes managériales ? Est-il vraiment impossible de vous accorder le droit de respecter certaines limites (limiter vos horaires, faire des pauses) ? » Permettre au sujet de retrouver une image favorable de lui. Pour cela, faire revivre en hypnose un succès passé pour récupérer une image favorable de soi. Faire ressortir l’importance de « la pression » dans les comportements de maltraitance, celle de l’encadrement et celle que les employés s’infligent : ils pensent que ce rythme de travail est indispensable pour le travail de leurs collègues ou pour la survie de leur entreprise, ils ont intégré la lutte pour atteindre les objectifs fixés comme une nécessaire fidélité à leur engagement ou comme inévitable pour ne pas être licenciés. « Cette pression interne, comment parlet- elle avec vous, avec quelle voix ? » Quel est le moteur de cette fuite en avant ? D’autres se sentent impuissants à arrêter ce flot de tâches qui s’accumule et grossit de jour en jour.
Reformuler : « Là, maintenant vous vous sentez actuellement impuissant » (quoi faire seul sans soutien ? les anciennes solidarités ont été brisées). Pour faire faire un « pas de côté » au patient, nous l’invitons à prendre du recul, à se mettre en retrait. Qu’il devienne un tiers observateur de lui-même et de la situation afin de pouvoir changer de point de vue. Lâcher prise et faire un pas de côté lui permettront peut-être de se détacher, de se décoller de cette emprise combinée de l’entreprise et de sa propre exigence idéale de réussite dans sa course folle à l’impossible. 2. Le sujet manque de temps pour tout faire, ça devient un cercle vicieux : il a du mal à trouver le sommeil, il est plus irritable, impatient. Recadrer : l’irritabilité, l’impatience résultent de cette fatigue, ce stress de six mois qui a épuisé les batteries. L’écoute du patient nous amène à définir avec lui le but à atteindre avec l’hypnose. Puis on pourra faire venir sur la chaise devant le patient son chef N+1, sur une autre le PDG de la boîte, un collègue, le conjoint ou l’enfant du/de la patient(e), afin de décentrer le patient, le faire sortir de son regard autocentré culpabilisateur. Ailleurs, on peut emmener en transe le patient sur son lieu de travail et lui faire vivre une confrontation, avec ses collègues et son N+1, en l’accompagnant, en le questionnant sur ce qu’il ressent, ce qu’il va faire, avec le retrait possible et répété sur un lieu sûr, comme on fait des confrontations à un objet phobogène. De nombreuses interventions sont possibles, certaines minimalistes (« ne rien faire » de Gaston Brosseau, ou « les mains de Rossi » où on se contente de notre présence dense pour accompagner le patient dans sa quête d’un pas de côté), d’autres qui utilisent l’externalisation, comme en Thérapie du lien et des mondes relationnels.
L’important est d’être à l’écoute du ressenti du patient et de son propre ressenti de thérapeute et de bien appréhender combien il est difficile de se sortir de ces situations en sachant que souvent la seule solution est l’arrêt de travail. « Vous démarrez toutes vos journées avec un sentiment de faute, de culpabilité, puisque vous n’êtes pas à jour, vous faites des erreurs... » Comment intervenir ? Proposer un arrêt de travail et travailler de façon rapprochée pour réparer les dégâts et permettre le repos... Si la souffrance a davantage usé le patient, le danger de dépression et de suicide est grand et l’arrêt de travail prolongé est la condition de la survie, l’hypnose accompagnera cette mesure indispensable. Marie Pezé décrit les stades suivants qui amènent au burn out : celui de la désocialisation, celui des signaux somatiques forts, celui de l’isolement, du recours aux expédients (drogues, médicaments), puis de la désillusion qui précède l’effondrement. Il est important d’identifier ces signes (5). Que faire quand la situation est grave ? Travailler sur des objectifs minimalistes : dormir, retrouver un intérêt pour quelques sensations agréables... La transe hypnotique permet de chercher ces sensations, en revivant de beaux moments structurants de sa vie (le jour où elle accouche, le diplôme qu’il obtient, etc.). On pourra aussi aider à se protéger dans une bulle virtuelle qui soit flexible, ou bien externaliser l’irritation, la colère, la honte.
UNE ILLUSTRATION CLINIQUE AVEC LES MAINS DE ROSSI
Mon patient, qu’on appellera « M. Emmanuel », est un cadre important d’une entreprise, je l’ai vu plusieurs fois. Lors d’une précédente consultation, je lui ai conseillé de réaliser le test de Marie Pezé. Fatigué, captif du numérique, culpabilisé de ne pas être à jour (sa fatigue réduisait son efficacité intellectuelle mais il continuait à s’acharner à poursuivre ses objectifs), il avait déjà des éléments de désocialisation qui m’inquiétèrent : je lui conseillai d’envisager un arrêt de travail, qu’il sollicita de son médecin. Après deux semaines de repos, il vint me voir avant sa reprise. Il exprima les difficultés avec sa supérieure hiérarchique, qui pendant qu’il était en arrêt maladie avait encore empiété sur son champ d’action par des interventions dites de « micromanagement » décrites par M. Emmanuel comme non respectueuses de son équipe, maladroites, et qui témoignaient du peu de cas qu’elle faisait de lui et de ses ressentis. Ce manque de respect à son égard suscitait chez M. Emmanuel des émotions difficiles à traverser, et des inquiétudes sur ce qui allait se passer à son retour au travail quelques jours après la consultation. Il parlait d’aller au combat... Je lui proposai alors de considérer que sa supérieure se comportait comme un robot dont il ne pouvait attendre respect ni humanité, et de s’armer à faire ce qu’il voulait accomplir mais sans attendre respect ni reconnaissance de sa supérieure. Pour cela, j’utilisai deux métaphores et un exercice d’hypnose.
LES DEUX MÉTAPHORES
M. Emmanuel…
Pour lire la suite...
Pour prendre en charge nos patients, il faut comprendre les mécanismes intimes de cette souffrance. Le premier phénomène est l’emprise sur le psychisme et l’imaginaire des employés, à travers l’adhésion à une logique d’organisation et l’intégration d’une culture d’entreprise, système de valeurs et d’objectifs, et spécialement celui d’excellence. La quête inlassable de l’excellence rencontre le désir de l’individu de se dépasser, se réaliser dans sa carrière professionnelle, gagner des récompenses narcissiques et financières dans une société où la réussite financière est devenue le critère de réussite de la vie et où l’individualisme a pris le pas sur les anciennes solidarités et identités de classe. Dans le cadre de cette emprise, les affects vont être vécus sans prise de recul, l’anxiété sera moins celle d’une sanction que celle d’une insuffisance personnelle vécue avec culpabilité et un doute sur ses compétences, sentiment douloureux de l’échec personnel (même si les sanctions directes demeurent toujours importantes dans certains secteurs : centres téléphoniques, par exemple). D’autres éléments de souffrance sont la solitude de l’individu et la perte de sens de son travail. Le management s’emploie à mettre les salariés en concurrence en assignant des objectifs individualisés et irréalisables.
L’« évaluation individuelle des performances » se fait à l’aide d’instruments informatiques, d’indicateurs chiffrés qui évaluent des quantités sans référence à la qualité ni aux difficultés du travail. Surtout, la notion de travail d’équipe disparaît, chaque employé est mis en concurrence avec les autres. La rivalité remplace la solidarité et laisse l’employé seul face à des objectifs irréalisables, des indicateurs dont il ne comprend pas toujours le sens. Ce processus l’amène à douter de sa compétence. Il est même amené à douter de son identité, lorsque les contraintes organisationnelles ne lui permettent plus un travail de qualité, un travail bien fait qui soit reconnu par l’employeur et par ce qu’étaient autrefois les équipes, les collectifs de travail. Travailler doit avoir un sens, aimer le beau travail bien fait est une aspiration universelle.
L’abandon de la référence au travail bien fait – qui nécessite du temps – a conduit à créer la norme de la « qualité totale », mesurée par des indicateurs quantitatifs sans rapport avec la qualité réelle du produit entier. Ainsi Maxime Bellego relève-t-il : « Si la mesure du travail est trop éloignée du travail réel, il y a rupture idéologique et groupale entre celui qui mesure et celui qui fait, mais en plus la mesure vient empêcher le travail de s’effectuer correctement puisque c’est l’activité qui va s’adapter à la mesure et non l’inverse » (3). La perte de sens est maximale quand s’ajoutent les tricheries : falsifications comptables ou statistiques, mensonges sur la qualité, fraudes, aboutissant à une trahison de l’éthique professionnelle, une trahison de soi (2), source de malaise, de dépression. Les managers eux-mêmes peuvent souffrir de cette organisation, par exemple si on leur demande de choisir les employés à licencier pour répondre aux attentes des actionnaires. Sur le site Souffrance et travail (4), la psychologue Marie Pezé propose un test de « propagation du burn out » : clinique de la progression de la souffrance professionnelle jusqu’au suicide ou à des états dépressifs graves.
Ce test est très utile pour prendre la mesure de l’épuisement professionnel : éviter sa sous-estimation chez le patient, et nous faire mesurer la nécessité ou l’urgence d’un arrêt de travail si le risque est grand d’un dommage irréversible. Notre posture de « non-savoir » nécessaire à la pratique de l’hypnose, avec son accueil inconditionnel de ce qu’apporte le patient, se confronte ici à une obligation morale de secours à personne en danger, et donc savoir reconnaître le danger d’une exposition professionnelle dont le patient est incapable de se libérer seul. Aux premiers stades de cette souffrance, le patient est en état de consulter et de travailler avec l’hypnose (le texte résumé en italique est de Marie Pezé).
1. « Au début c’est la surchauffe. Les contraintes, le manque de moyens, de temps sont à la source d’inquiétude quant au travail qui n’est pas terminé et s’accumule alors que l’encadrement signifie : “vous devriez mieux vous organiser”. Vous avez l’impression de ne pas être à la hauteur de ce qu’on attend de vous. Vous vous dites que c’est vous qui n’en faites pas assez, ou pas assez bien. Vous commencez à vous sentir coupable de ne pas y arriver. Vous travaillez chez vous le soir, les week-ends. Mais même avec tous ces efforts, vous n’arrivez plus à vous mettre à jour. »
2. « Après six mois de stress. Votre capacité d’attention et de concentration est saturée, vous n’imprimez plus tout ce que vous devez retenir. Il vous faut plus de temps pour tout faire, ça devient un cercle vicieux. Vous avez la vue qui se trouble. Vous commencez à avoir mal de-ci de-là, puis bientôt vous avez mal partout. Tout commence à vous agacer, le manager qui vous demande de faire des choses en plus, vos collègues qui ne vont pas assez vite et qui bloquent votre travail. Vous avez du mal à trouver le sommeil. »
3. « L’engrenage. C’est l’étape décisive qui fait passer le salarié au fonctionnement compulsif dont il faudra bien que quelqu’un de son entourage l’extraie : vous vous réveillez en pleine nuit et vous êtes assailli par tout ce que vous n’avez pas fait, tout ce que vous avez encore à faire. Vous ruminez et vous n’arrivez plus à vous rendormir. Vous n’arrivez pas à lutter contre le TTU (“Très Très Urgent”), le toujours tout de suite, l’ASAP (“As Soon As Possible”). Vous travaillez de manière compulsive. Vous êtes captif du numérique, vous regardez tout en ligne. Vous démarrez toutes vos journées avec un sentiment de faute, de culpabilité, puisque vous n’êtes pas à jour… Vous êtes pris dans un engrenage : vous êtes fatigué, donc moins performant. Vous faites des erreurs, vous vous trompez de mots. » Au fur et à mesure de la progression vers les six stades suivants, de la désocialisation jusqu’à l’effondrement (à lire sur le site) (4), l’arrêt de travail devient une nécessité de plus en plus urgente.
COMMENT UTILISER L’HYPNOSE ? VOICI QUELQUES EXEMPLES...
1. Le sujet se sent coupable de ne pas y arriver. Proposer un recadrage pour diminuer la culpabilité, par exemple : « Est-ce vraiment vous qui êtes devenu insuffisant ? Est-ce que ce ne serait pas plutôt la restriction de personnel, le changement de méthodes managériales ? Est-il vraiment impossible de vous accorder le droit de respecter certaines limites (limiter vos horaires, faire des pauses) ? » Permettre au sujet de retrouver une image favorable de lui. Pour cela, faire revivre en hypnose un succès passé pour récupérer une image favorable de soi. Faire ressortir l’importance de « la pression » dans les comportements de maltraitance, celle de l’encadrement et celle que les employés s’infligent : ils pensent que ce rythme de travail est indispensable pour le travail de leurs collègues ou pour la survie de leur entreprise, ils ont intégré la lutte pour atteindre les objectifs fixés comme une nécessaire fidélité à leur engagement ou comme inévitable pour ne pas être licenciés. « Cette pression interne, comment parlet- elle avec vous, avec quelle voix ? » Quel est le moteur de cette fuite en avant ? D’autres se sentent impuissants à arrêter ce flot de tâches qui s’accumule et grossit de jour en jour.
Reformuler : « Là, maintenant vous vous sentez actuellement impuissant » (quoi faire seul sans soutien ? les anciennes solidarités ont été brisées). Pour faire faire un « pas de côté » au patient, nous l’invitons à prendre du recul, à se mettre en retrait. Qu’il devienne un tiers observateur de lui-même et de la situation afin de pouvoir changer de point de vue. Lâcher prise et faire un pas de côté lui permettront peut-être de se détacher, de se décoller de cette emprise combinée de l’entreprise et de sa propre exigence idéale de réussite dans sa course folle à l’impossible. 2. Le sujet manque de temps pour tout faire, ça devient un cercle vicieux : il a du mal à trouver le sommeil, il est plus irritable, impatient. Recadrer : l’irritabilité, l’impatience résultent de cette fatigue, ce stress de six mois qui a épuisé les batteries. L’écoute du patient nous amène à définir avec lui le but à atteindre avec l’hypnose. Puis on pourra faire venir sur la chaise devant le patient son chef N+1, sur une autre le PDG de la boîte, un collègue, le conjoint ou l’enfant du/de la patient(e), afin de décentrer le patient, le faire sortir de son regard autocentré culpabilisateur. Ailleurs, on peut emmener en transe le patient sur son lieu de travail et lui faire vivre une confrontation, avec ses collègues et son N+1, en l’accompagnant, en le questionnant sur ce qu’il ressent, ce qu’il va faire, avec le retrait possible et répété sur un lieu sûr, comme on fait des confrontations à un objet phobogène. De nombreuses interventions sont possibles, certaines minimalistes (« ne rien faire » de Gaston Brosseau, ou « les mains de Rossi » où on se contente de notre présence dense pour accompagner le patient dans sa quête d’un pas de côté), d’autres qui utilisent l’externalisation, comme en Thérapie du lien et des mondes relationnels.
L’important est d’être à l’écoute du ressenti du patient et de son propre ressenti de thérapeute et de bien appréhender combien il est difficile de se sortir de ces situations en sachant que souvent la seule solution est l’arrêt de travail. « Vous démarrez toutes vos journées avec un sentiment de faute, de culpabilité, puisque vous n’êtes pas à jour, vous faites des erreurs... » Comment intervenir ? Proposer un arrêt de travail et travailler de façon rapprochée pour réparer les dégâts et permettre le repos... Si la souffrance a davantage usé le patient, le danger de dépression et de suicide est grand et l’arrêt de travail prolongé est la condition de la survie, l’hypnose accompagnera cette mesure indispensable. Marie Pezé décrit les stades suivants qui amènent au burn out : celui de la désocialisation, celui des signaux somatiques forts, celui de l’isolement, du recours aux expédients (drogues, médicaments), puis de la désillusion qui précède l’effondrement. Il est important d’identifier ces signes (5). Que faire quand la situation est grave ? Travailler sur des objectifs minimalistes : dormir, retrouver un intérêt pour quelques sensations agréables... La transe hypnotique permet de chercher ces sensations, en revivant de beaux moments structurants de sa vie (le jour où elle accouche, le diplôme qu’il obtient, etc.). On pourra aussi aider à se protéger dans une bulle virtuelle qui soit flexible, ou bien externaliser l’irritation, la colère, la honte.
UNE ILLUSTRATION CLINIQUE AVEC LES MAINS DE ROSSI
Mon patient, qu’on appellera « M. Emmanuel », est un cadre important d’une entreprise, je l’ai vu plusieurs fois. Lors d’une précédente consultation, je lui ai conseillé de réaliser le test de Marie Pezé. Fatigué, captif du numérique, culpabilisé de ne pas être à jour (sa fatigue réduisait son efficacité intellectuelle mais il continuait à s’acharner à poursuivre ses objectifs), il avait déjà des éléments de désocialisation qui m’inquiétèrent : je lui conseillai d’envisager un arrêt de travail, qu’il sollicita de son médecin. Après deux semaines de repos, il vint me voir avant sa reprise. Il exprima les difficultés avec sa supérieure hiérarchique, qui pendant qu’il était en arrêt maladie avait encore empiété sur son champ d’action par des interventions dites de « micromanagement » décrites par M. Emmanuel comme non respectueuses de son équipe, maladroites, et qui témoignaient du peu de cas qu’elle faisait de lui et de ses ressentis. Ce manque de respect à son égard suscitait chez M. Emmanuel des émotions difficiles à traverser, et des inquiétudes sur ce qui allait se passer à son retour au travail quelques jours après la consultation. Il parlait d’aller au combat... Je lui proposai alors de considérer que sa supérieure se comportait comme un robot dont il ne pouvait attendre respect ni humanité, et de s’armer à faire ce qu’il voulait accomplir mais sans attendre respect ni reconnaissance de sa supérieure. Pour cela, j’utilisai deux métaphores et un exercice d’hypnose.
LES DEUX MÉTAPHORES
M. Emmanuel…
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Dr Michel RUEL
Médecin des Hôpitaux, ancien chef de service de Médecine interne, s’est consacré à la formation à l’hypnose de professionnels de santé en fondant l’ODPC 7097, pour les soignants hospitaliers et les professionnels de ville (https://seformerhypnose.fr). Vice-président de l’AFHYP, il a publié Se soigner avec l’hypnose et l’autohypnose (Leduc.s Editions, 2017).
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N°74 : Août / Sept. / Octobre 2024
La puissance thérapeutique de la relation humaine
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°74 :
Si la prise en compte du corps relationnel est au centre des changements en thérapie, cela implique pour le thérapeute d’être attentif au contexte relationnel favorisant les processus dissociatifs. Et pour favoriser les processus de réassociation, le thérapeute doit être en capacité de modifier les interactions qui entretiennent le problème.
. Nathalie Koralnik, dans un texte clair et pédagogique, nous montre comment la prescription du symptôme permet à des parents consultant pour des problèmes récurrents, avec une escalade symétrique de disputes et de crises, de retrouver une relation éducative positive, les parents pouvant s’investir dans un rôle de co-thérapeutes. L’approche stratégique, lorsqu’elle est pensée de manière coopérative, est vraiment un outil de choix pour sortir des impasses relationnelles.
. Delphine Le Gris nous parle de Mélanie, une jeune femme en grande souffrance après une rupture sentimentale où la relation de couple était depuis longtemps perçue comme maltraitante. En s’immergeant dans l’histoire de sa patiente, l’image de la mer et de l’eau est apparue, avec des vagues réparatrices permettant de retrouver les ressources enfuies et de rendre possible l’oubli des relations difficiles emportées au large. Nous voyons ainsi l’importance pour le thérapeute de se connecter à l’histoire racontée par le sujet pour ouvrir un imaginaire partagé, dans lequel la vie relationnelle va reprendre sa place.
. Michel Dumas évoque l’histoire de Stéphanie, confrontée à la déliquescence de la relation avec son mari qui, le plus souvent, met en scène sa tristesse et se réfugie devant son téléviseur. Elle ne parvient pas à aborder avec son conjoint cette situation où elle se sent de moins en moins aimée, car elle a peur d’un conflit qui provoquerait les conséquences qu’elle redoute. Après un recadrage : « si tu fais l’agneau, tu trouveras le loup qui te mangera », le thérapeute prescrit trois tâches stratégiques possibles pour sortir de ce cercle vicieux relationnel.
. Jérémie Roos nous raconte comment la situation bloquée de Zohra, attaquée par un chien, a pu évoluer grâce au sous-main de son bureau utilisé comme une scène imaginaire. Celle-ci permettra l’émergence de nouvelles formes relationnelles, ouvrant de nouveaux possibles grâce au soutien de la relation thérapeutique.
. Gérard Ostermann nous présente la synthèse effectuée par, Michel Ruel, à partir du travail de la CFHTB, sur l’utilisation de l’hypnose pour faire face à la souffrance au travail. Il rappelle l’importance de différencier le pré-effondrement de l’effondrement dans ces prises en charge. L’illustration clinique de la situation inquiétante d’un cadre d’entreprise subissant un début de désocialisation met en évidence l’intérêt du travail avec les métaphores pour retrouver des objectifs atteignables.
. Morgane Monnier, quant à elle, nous présente l’intérêt de l’hypnose et des thérapies brèves pour améliorer les prises en charge en psychomotricité.Dans le dossier thématique « Thérapie et relation ».
. Géraldine Garon et Solen Montanari mettent en lumière la puissance thérapeutique de la relation humaine lorsque le thérapeute et le patient entrent dans un processus de co-construction par un travail de questionnement permettant l’émergence d’un imaginaire partagé. Elles montrent, à travers les situations de Lou (qui se plaint de tics) et de Mathilde (présentant un excès de poids), comment l’externalisation nourrit le processus thérapeutique en favorisant l’accordage. Cet article décrit très bien l’apport de la TLMR à la mobilisation des ressources et au repositionnement du sujet. .
A partir de trois situations cliniques, Charlotte Thouvenot décrit avec précision l’importance de la carte du remembering pour retrouver une relation vivante et faire l’expérience de l’estime de soi.
. Olivier de Palézieux développe une meilleure compréhension du concept d’empathie, au centre de la relation. Pour cela, il en décrit l’historique et les variations de sens. Il illustre l’intérêt de sa réflexion à propos du cas de Lucas présentant un TSA (trouble du spectre autistique).
Vous retrouverez la chronique de Sophie Cohen sur une première consultation autour de la détresse conjugale et des réseaux sociaux, celle de Sylvie Le Pelletier-Beaufond « Passer les portes secrètes et apaiser les craintes ». Tandis que Stefano Colombo et Muhuc vous feront découvrir ce qui peut se cacher derrière la « peur du conflit ».
. Livres en bouche du mois.
La puissance thérapeutique de la relation humaine
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°74 :
Si la prise en compte du corps relationnel est au centre des changements en thérapie, cela implique pour le thérapeute d’être attentif au contexte relationnel favorisant les processus dissociatifs. Et pour favoriser les processus de réassociation, le thérapeute doit être en capacité de modifier les interactions qui entretiennent le problème.
. Nathalie Koralnik, dans un texte clair et pédagogique, nous montre comment la prescription du symptôme permet à des parents consultant pour des problèmes récurrents, avec une escalade symétrique de disputes et de crises, de retrouver une relation éducative positive, les parents pouvant s’investir dans un rôle de co-thérapeutes. L’approche stratégique, lorsqu’elle est pensée de manière coopérative, est vraiment un outil de choix pour sortir des impasses relationnelles.
. Delphine Le Gris nous parle de Mélanie, une jeune femme en grande souffrance après une rupture sentimentale où la relation de couple était depuis longtemps perçue comme maltraitante. En s’immergeant dans l’histoire de sa patiente, l’image de la mer et de l’eau est apparue, avec des vagues réparatrices permettant de retrouver les ressources enfuies et de rendre possible l’oubli des relations difficiles emportées au large. Nous voyons ainsi l’importance pour le thérapeute de se connecter à l’histoire racontée par le sujet pour ouvrir un imaginaire partagé, dans lequel la vie relationnelle va reprendre sa place.
. Michel Dumas évoque l’histoire de Stéphanie, confrontée à la déliquescence de la relation avec son mari qui, le plus souvent, met en scène sa tristesse et se réfugie devant son téléviseur. Elle ne parvient pas à aborder avec son conjoint cette situation où elle se sent de moins en moins aimée, car elle a peur d’un conflit qui provoquerait les conséquences qu’elle redoute. Après un recadrage : « si tu fais l’agneau, tu trouveras le loup qui te mangera », le thérapeute prescrit trois tâches stratégiques possibles pour sortir de ce cercle vicieux relationnel.
. Jérémie Roos nous raconte comment la situation bloquée de Zohra, attaquée par un chien, a pu évoluer grâce au sous-main de son bureau utilisé comme une scène imaginaire. Celle-ci permettra l’émergence de nouvelles formes relationnelles, ouvrant de nouveaux possibles grâce au soutien de la relation thérapeutique.
. Gérard Ostermann nous présente la synthèse effectuée par, Michel Ruel, à partir du travail de la CFHTB, sur l’utilisation de l’hypnose pour faire face à la souffrance au travail. Il rappelle l’importance de différencier le pré-effondrement de l’effondrement dans ces prises en charge. L’illustration clinique de la situation inquiétante d’un cadre d’entreprise subissant un début de désocialisation met en évidence l’intérêt du travail avec les métaphores pour retrouver des objectifs atteignables.
. Morgane Monnier, quant à elle, nous présente l’intérêt de l’hypnose et des thérapies brèves pour améliorer les prises en charge en psychomotricité.Dans le dossier thématique « Thérapie et relation ».
. Géraldine Garon et Solen Montanari mettent en lumière la puissance thérapeutique de la relation humaine lorsque le thérapeute et le patient entrent dans un processus de co-construction par un travail de questionnement permettant l’émergence d’un imaginaire partagé. Elles montrent, à travers les situations de Lou (qui se plaint de tics) et de Mathilde (présentant un excès de poids), comment l’externalisation nourrit le processus thérapeutique en favorisant l’accordage. Cet article décrit très bien l’apport de la TLMR à la mobilisation des ressources et au repositionnement du sujet. .
A partir de trois situations cliniques, Charlotte Thouvenot décrit avec précision l’importance de la carte du remembering pour retrouver une relation vivante et faire l’expérience de l’estime de soi.
. Olivier de Palézieux développe une meilleure compréhension du concept d’empathie, au centre de la relation. Pour cela, il en décrit l’historique et les variations de sens. Il illustre l’intérêt de sa réflexion à propos du cas de Lucas présentant un TSA (trouble du spectre autistique).
Vous retrouverez la chronique de Sophie Cohen sur une première consultation autour de la détresse conjugale et des réseaux sociaux, celle de Sylvie Le Pelletier-Beaufond « Passer les portes secrètes et apaiser les craintes ». Tandis que Stefano Colombo et Muhuc vous feront découvrir ce qui peut se cacher derrière la « peur du conflit ».
. Livres en bouche du mois.